your lips speak of gold and honey. (r)

jax + bran.

Le regard de Bran allait de l'horloge à sa montre, de sa montre à son écran, de son écran à la porte, et de la porte à l'horloge. Il s'attardait particulièrement sur la porte, comme si celui qui l'attendait allait jaillir tel un diable de sa boîte et qu'il mettrait un terme à une attente particulièrement irritante. Il avait été prévenu, pourtant. Jax Nightingale était une véritable diva, coups d'éclat et retards indécents inclus. Il n'y avait qu'à voir les attaques incessantes dont il était la cible depuis qu'il avait intégré l'équipe créative de Royce&Garth, Inc. Le genre de types qui donnaient à Bran des heures supplémentaires. Le genre de types que, par conséquent, Bran avait du mal à supporter. L'avocat s'enfonça dans son siège et dévia ses prunelles du chemin horloge-horloge pour contempler le plafond. La journée avait été éreintante, et le fait de devoir encore attendre lui donnait comme l'impression qu'on avait frotté ses nerfs contre une râpe à fromage. Et comme s'il n'avait pas été aussi exaspéré, un bip sonore lui martela le crâne, mettant de nouveau sa patience à rude épreuve. C'était la secrétaire. Las, Bran appuya sur le bouton de l'interphone. « Oui, Mary ? » La jeune femme parut hésiter. « C'est votre rendez-vous, monsieur Gibsens. Tout son corps se tendit brutalement, comme si la tension s'infiltrait soudainement dans chacun de ses mucles. A l'affût comme un chasseur, vidé de toute fatigue qui avait fait place à l'alerte totale de ses sens, il se tenait prêt. « Faites-le entrer. Merci Mary. » Enfin. Le duel allait pouvoir se faire. La poignée de la porte tourna et Bran fit mine d'être occupé, rivant ses prunelles sur son écran. Il n'allait pas donner à Nightingale la satisfaction d'être traité comme la diva qu'il prétendait être. Il entendit la porte s'ouvrir, quelqu'un entrer, puis de nouveau la porte, qui se refermait. L'atmosphère devint soudainement plus lourde, comme chassée de son air. « Vous êtes en retard. » dit Bran, froid, métallique, tranchant. Se redressant sur son fauteuil et croisant les bras, une expression désapprobatrice dans le coin de ses lèvres, il posa les yeux sur Jax et se contenta de hausser un sourcil pour dissimuler la surprise. Il n'avait fait que croiser Nightingale depuis qu'il était arrivé, et jamais l'occasion de l'observer ne lui avait été donnée. Presque malgré lui, il nota l'immensité de cet homme, son profil de bête féroce, son visage comme taillé à la serpe, et cette bouche presque démesurée, sur laquelle il était quasiment impossible de ne pas s'arrêter une seconde. Tout chez cet homme était plus fort, plus imposant, plus... grand. Mais Bran avait affronté des adversaires plus dangereux. Il savait par expérience qu'un esprit rapide pouvait avoir le dessus sans difficulté. « A l'avenir, veillez à être ponctuel ou vous devrez vous débrouiller tout seul face aux journalistes qui veulent votre peau. Je suis capable de ressentir un panel de deux émotions et la culpabilité n'en fait pas partie. » prévint-il d'un ton qui ne souffrirait d'aucune réplique. En vérité, son éventail de ressentis tournait plutôt aux environs de quatre mais il était en pourparlers avec son psychanalyste à propos de ces petits désagréments émotionnels. « Bref. » soupira-t-il, déjà excédé par ce rendez-vous tardif alors qu'il aurait pu être chez lui, à siroter tranquillement du vin rouge dans sa baignoire. Deux prunelles condescendantes se posèrent sur Jax, impitoyables. Nightingale pouvait terroriser tous les autres, jouer avec les larbins, leur faire subir ses colères de réalisateur mégalomane frustré de ne pas avoir réussi à percer sur grand écran. Mais Bran était d'un acier différent. Et il n'allait pas tarder à le comprendre, l'avocat pouvait même le lui garantir noir sur blanc. Le jeune homme se leva, incapable de tenir une minute de plus en place à force d'être resté assis toute la journée. Et puis, de là, il dominait la situation. Du moins, dans la mesure du possible. « Comme vous avez raté la réunion du spot Porsche ce matin parce que vous étiez sûrement en train de vous enfiler des rails de cocaïne, j'ai besoin que vous me fassiez un compte-rendu de ce que vous comptez faire. Histoire de voir si l'une de vos brillantes réalisations va encore nous coller une armada de bien-pensants aux fesses. » Il n'avait pas cillé, pas tremblé, pas vacillé. Jax Nightingale ne lui faisait pas peur. Il avait vu des choses bien plus effrayantes et des hommes bien plus imposants que lui, il leur avait fait face et il les avait vaincues sans même salir l'une de ses belles chemises Prada. Ce n'était pas Jax, malgré son costume hors de prix et sa présence, si massive, si musculeuse qu'il paraissait remplir toute la pièce, qui pourrait le troubler. Pas même sa bouche, qui semblait lui sauter aux yeux.

Jax était en compagnie d’un ex-collègue – et donc, nouvel adversaire – de passage à Baltimore et qui l’avait judicieusement invité dans l’un des restaurants les plus chics de la ville. Conscient que cette visite de courtoisie n’avait rien d’innocent, Jax s’était amusé à cuisiner son ancien ami tout en évitant soigneusement de lui révéler quoi que ce soit sur ses projets actuels. Chaque fois que Terrence revenait à la charge, Jax l’envoyait poliment balader, d’un sourire qui était devenu légendaire, à mi-chemin entre l’amusement et le mépris. Le repas l’avait bien rassasié et c’est au moment où il s’essuyait le coin des lèvres que Terry demanda, après avoir jeté un coup d’œil à sa montre : « Tiens, au fait, tu n’avais pas un rendez-vous avec un avocat ? » Jax écarta la manche de sa veste pour découvrir le cadran de la sienne. En effet, il avait un rencart avec l’un des avocats de Royce&Garth Enterprises mais comme cette réunion ne l’enchantait guère, quelques minutes supplémentaires à cette table ne seraient pas de trop. « Je ne suis pas pressé de l’entendre me rabâcher les oreilles » répliqua simplement Jax en se disant que l’autre verrait rouge mais que c’était le cadet de ses soucis. Ce n’est donc qu’un quart d’heure plus tard qu’il daigna enfin abandonner Terrence pour reprendre le chemin des bureaux de l’entreprise et quand il s’annonça auprès de la secrétaire de Bran Gibsens, un sourire d’autosatisfaction qui lui était propre ourlait ses lèvres pleines. « Vous pouvez entrer » annonça finalement la dénommée Mary et Jax la planta là d’un simple ‘c’est trop aimable’ qui sonnait tout sauf juste.
Sans avoir eu réellement l’occasion d’être présenté officiellement à Bran, Jax n’avait pas manqué de remarquer l’avocat et son air coincé, avec sa dignité agaçante et son ton hautain. Il avait cependant suffisamment à faire que pour s’attarder sur un homme qui, de par sa fonction même, était voué à l’emmerder à longueur de journée. Il pénétra donc dans le sanctuaire de l’avocat sans se faire prier et referma la porte derrière lui en découvrant son interlocuteur derrière son bureau. Jax aurait été prêt à parier que l’occupation concentrée qui assombrissait ses traits était feinte et son sourire ne fit qu’augmenter à cette idée. « Il y avait du trafic » répondit-il sans même chercher à être crédible. Il avait été expressément manger non loin de l’entreprise, pour ne pas avoir à prendre sa voiture. Le trafic était donc bel et bien le dernier à blâmer dans cette affaire. « Eh bien ! Serait-on de mauvais poil ? » s’enquit Jax en s’installant face à Bran, croisant les jambes et s’appuyant lourdement sur l’accoudoir, dans une pose qui respirait déjà l’ennui. « Ne boudez pas trop, vous risquez d’avoir des rides avant l’âge. » Loin de vouloir apaiser l’humeur massacrante de ce qui était censé être son sauveur, Jax posa sur lui un regard insistant où brillait un certain amusement. Il prit quelques longues secondes pour observer la silhouette de l’avocat et le détailla de la tête au ventre, puisque le reste était malheureusement dissimulé sous le bureau de l’austère personnage. La mâchoire calée entre son pouce et son index, Jax fixa Bran avec un léger haussement de sourcils, loin d’être impressionné par l’acidité des propos du jeune homme ni la hauteur qu’il tentait de prendre sur leur conversation. « Tu me sembles bien porté sur les a priori, mon garçon » rétorqua Jax, décidant que le vouvoiement avait suffisamment duré. L’attitude méprisante de l’avocat ne lui plaisait pas du tout et s’il croyait pouvoir l’impressionner avec sa sévérité, il pouvait d’ores et déjà aller se rhabiller. « J’ai mieux à faire que de me justifier auprès d’un rat de bibliothèque. Si une armada de bien-pensants faisait si peur que ça, je ne serais pas ici. » Délaissant le sujet de leur rencontre aussi promptement, il jeta un coup d’œil autour de lui, observant sans vergogne les meubles qui étaient supposés redonner un peu de vie à ce bureau. Il était bien tenté d’aller faire l’inventaire de la décoration mais il n’avait pas envie de se lever et de donner l’impression que la supériorité illusoire de l’avocat le mettait mal à l’aise. Il pouvait grimper sur le bureau, si cela lui chantait, ce ne serait jamais sa hauteur qui donnerait à Jax un sentiment d’infériorité. Il en fallait beaucoup plus. Non. C’était faux. Il était impossible de le faire se sentir gêné ou désavantagé. « Tu n’auras qu’à aller plaider auprès de Carl si quelque chose te dérange dans ma façon de travailler. » Attrapant un objet qui se trouvait sur le bord du bureau de Bran, Jax entreprit de l’analyser sous toutes les coutures en demandant distraitement : « Je suis dispensé de leçon de morale ou y a-t-il autre chose que tu aimerais mettre au point ? » Il releva les yeux vers l’avocat et cette fois, c’était autre chose qui animait son regard.

Jax Nightingale lui avait fait une très mauvaise première impression. Et ce n'était pas son horrible cravate qui allait arranger les choses. Sa remarque sur ses futures rides n'eut pour effet que de lui faire froncer les sourcils un peu plus. Il n'aimait pas ce sourire trop plein, trop confiant qui attirait l'attention sur cette bouche démesurée. « Mon garçon ? » répéta-t-il sans vraiment y croire, effaré du manque de savoir-vivre du rustre qui lui faisait face. Bran était sincèrement scandalisé. S’il espérait qu’il se sente désolé d’avoir émis un jugement quelque peu hâtif, Jax se fourrait le doigt dans l’œil, et jusqu’au coude. Bran n’était jamais désolé. Et plus Jax s’enfonçait, moins il se sentait d’humeur à être indulgent. Rat de bibliothèque ? Il n'avait de leçons à recevoir de personne, et surtout pas d'un raté d'Hollywood ayant échoué sur les rivages de la publicité qui avait pour toute compétence celle de la provocation à un niveau quasiment universitaire. Bra le regarda s’emparer de son agrafeuse, jouer avec autant de nonchalance qu’un enfant puis lui retourner ce regard qu’il n’était pas sûr de bien interpréter. A quel jeu voulait-il jouer, en vérité ? Que cherchait-il, qu’espérait-il de lui alors qu’il se comportait comme un enfant trop sûr de lui ? Bran sentit sa gorge s’assécher et il contracta la mâchoire pour ne pas laisser le plaisir à Jax de savourer sa victoire. Quelle victoire, d’ailleurs ? Il n’y avait pas de jeu, pas d’affrontement. Bran ne perdrait pas son temps à se débattre, et surtout pas avec Jax, quand bien même il semblait attendre quelque chose de lui, avec ses grands yeux emplis d’une morgue condescendante qui visait juste. Non, Mr Nightingale, Bran ne s’essayait pas à cette danse-là. Ressaisi, Bran contourna son bureau, et s’approcha du réalisateur. Sans prévenir, il tendit le bras, et posa la main sur l’agrafeuse sans pour autant l’agripper. Il voulait simplement que Jax cesse tout mouvement. Qu’il l’écoute, aussi. « Il va falloir apprendre à ranger votre ego en face du mien, Mr Nightingale. Je crains qu'il ne soit pas possible qu'ils tiennent tous les deux dans la même pièce. » murmura-t-il d'un ton encore plus inamical qu'à l'accoutumée. Brutalement, ses doigts se refermèrent sur l’agrafeuse. D'un geste sec, il lui arracha l'objet des mains et la posa brutalement sur le bureau. Le bruit net claqua comme un coup de revolver, et l'air sembla comme frémir autour d'eux, comme lorsque le soleil s'éclate sur le bitume et le fait onduler comme de la vulgaire tôle. Pas une seconde, il n'avait quitté les yeux de Jax du regard, pourtant, comme incapable de se défaire de ces prunelles qui avaient une dangereuse façon de luire. La gorge de plus en plus sèche, Bran se pencha légèrement, comme pour conjurer le sort et posa un une main sur le bras du fauteuil, tout proche de Jax. Il n’avait plus envie d’enrober ses paroles d’une politesse onctueuse. Il pouvait bien porter un costume trois-pièces et une cravate assortie, être tout entier drapé de bonnes manières et de phrasés exquis, l’habit ne faisait pas le moine. Un homme comme Jax ne pouvait pas être dupe : ils appartenaient à la même espèce de prédateurs féroces. Bran avait simplement l’air d’un louveteau quand Jax était déjà un chef de meute. Simple question de perspective. La morsure était, au final, exactement la même. « Tu veux une mise au point ? Simple. Je ne suis pas ton sous-fifre, ni ta secrétaire, et encore moins un rat de bibliothèque. Carl Garth est peut-être ton patron, mais c'est moi qui m'occupe de tes miches le reste du temps et si tu veux qu'elles restent bien à l'abri, veille à te montrer coopératif, Nightingale. Ne joue pas avec moi. C'est assez clair ou il faut que je te le faxe en trois exemplaires ? » Il était passé du 'vous' au 'tu' sans autre forme de procès, espérant que son avertissement s'imprime ainsi plus facilement dans le crâne visiblement épais de son interlocuteur. Ne joue pas avec moi. C’était sorti tout seul, presque hors de propos, tandis que le regard de Jax semblait s’imprimer en lui. Comme un avertissement, une piqûre de rappel. C’était fou comme cet homme savait le faire sortir de ses gonds, sans même lever le petit doigt. C’était fou, aussi, comme l’air semblait se raréfier autour d’eux.