back in time (r)

Inquiétude quand tu nous tiens. Les sourcils froncés, une méchante ride sur le front, Rowena faisait les cent pas dans le salon de son appartement. Elle n'avait plus de nouvelles de William, ou très peu en tout cas, depuis déjà plusieurs jours alors qu'ils avaient pris l'habitude de s'appeler tous les soirs ou presque et là... Silence radio. Elle jeta un petit coup d'oeil à son chat, Zeus, royalement étalé sur le canapé. « T'en penses quoi, toi ? » L'animal se contenta de bâiller longuement en exhibant ses crocs, puis sauta hors du canapé pour disparaître dans la cuisine. « Tu m'aides vachement, Zeus, merci ! » Secouant la tête, la petite brune se mordilla nerveusement l'ongle de son pouce gauche. Il fallait qu'elle fasse quelque chose, pas vrai ? Ne restait plus qu'à se décider sur quoi. Elle jeta un coup d'oeil envieux et vaguement déçu à son canapé où l'attendaient une couverture bien chaude et un DVD qu'elle adorait, finit sa tasse de café d'un trait et se décida à sortir. Heureusement qu'il faisait beau. Pas chaud, mais beau. La jeune femme poussa un petit soupir en se glissant derrière le volant de sa Chevrolet. Elle serait bien restée chez elle à glander comme une espèce de grosse geek mais elle était beaucoup trop inquiète pour son jumeau, alors elle allait débarquer chez lui. Le connaissant, il aurait très bien pu mourir de faim ou d'épuisement, hein. Ce serait parfaitement son genre. Qu'on se le dise, mine de rien, elle était exactement comme ça elle aussi, trop prise par son boulot pour penser à manger ou dormir correctement - ils n'étaient pas jumeaux pour rien. Elle avait encore passé une bonne partie de sa semaine à se contenter de somnoler et à essayer de ne pas faire trop de bêtises à cause de sa maladresse légendaire. A croire que Royce&Garth avait pas mal de problèmes judiciaires ces derniers temps, ou alors ils avaient juste besoin de notaires... La jeune femme faillit griller un feu rouge, fit une embardée et pila net au beau milieu de la route. Heureusement qu'il n'y avait pas eu de flics, sinon elle aurait été bonne pour une amende. Un soupir soulagé passa ses lèvres et, plus prudemment qu'à l'accoutumée, elle s'engagea dans la rue où vivait William.

Encore dix minutes pour se garer et Rowena grimpait les escaliers de l'immeuble où il vivait. Plutôt sportive malgré son addiction à la cigarette et sa silhouette presque trop fine et pas du tout musclée (elle disait elle-même qu'elle avait autant de force dans les bras qu'une mouche atrophiée), elle n'hésitait jamais à se taper une dizaine d'étages à pied, même s'il y avait un ascenseur de disponible dans le bâtiment. Elle préférait nettement se défoncer les cuisses et arriver chez elle en sueur. Peut-être était-elle un peu masochiste sur les bords, mais que voulez-vous... Heureusement que William n'habitait pas au dernier étage de son immeuble, c'était tout. Bref, elle ne tarda pas à atterrir devant la porte de son appartement. Elle frappa une fois, deux fois... trois fois... Et se décida finalement à ouvrir sans attendre de réponse. L'appartement était étrangement plongé dans la pénombre. « William ? » Pas de réponse. Evidemment. Wee poussa un petit soupir agacé et réussit à se faufiler un chemin jusqu'au salon malgré le noir et sa maladresse légendaire qui ne lui valut qu'une chute en plein milieu du couloir (elle avait dû marcher sur la queue de Shakespeare, vu le miaulement de douleur furieuse qui avait retenti presque aussitôt). Le premier réflexe qu'elle eut fut d'ouvrir grand les rideaux, et la luminosité qui régna presque immédiatement dans la pièce lui arracha un sifflement de douleur. La réverbération de la lumière sur les murs blancs était plutôt douloureuse. « Oh, Will. Bouge tes grosses fesses. » Il était étalé sur le canapé, en mode grosse larve incapable de bouger. Rowena leva les yeux au ciel. Bien, il n'y avait plus qu'une solution, et tant pis si sa robe remontait et qu'on voyait sa petite culotte... Elle lui sauta carrément dessus, s'étalant de tout son long et de tout son poids sur lui. « WILLIAM STEADWORTHY ! » lui hurla-t-elle dans l'oreille. Elle adorait l'emmerder, en fait.

C'est noir, ou du moins presque noir. Devant moi, j'vois un miroir. Il est étrange, il n'y a pas de reflet, pas de personne à voir là-dedans. Je fronce les sourcils, m'en approche et mes doigts se posent dessus. Le verre se transforme en eau, ça gigote, ça fait du bruit. Je pince ma lèvre inférieure, ça parait surréaliste. Pourtant, ça m'intrigue. Ma main se glisse à l'intérieur, il n'y a aucune contenance. Quitte à être fou, autant l'être jusqu'au bout. Je me jette à l'eau, me jette dans un reflet qui n'existe pas. De la couleur qui explose, qui implose. Un lieu que je ne saurais décrire, je marche sur de l'herbe verte tout en admirant les environs. On dirait un délire à la Alice au pays des merveilles, mais, peut-être en plus William. J'entends des voix, j'entends des sons, un monde qui n'existe que dans ma pauvre tête. Pourtant, je m'y amuse, je m'y sens libre. Alors ce miroir, si je retourne dedans, je retombe dans la réalité. Et pour le moment, je n'en ai pas envie. Pour le moment je préfère m'évader, je préfère me barrer loin des chiffres, loin d'une fatalité qui colle à la peau. Mes doigts se posent sur ma propre façon de voir les choses, sur ma réalité qui n'en est pas vraiment une. Comme un pot de peinture géant qui explose dans mes idées, dans mes rêves mal barrés. J'y vois ce que je veux, quand je veux. Ou quoi que non, parfois, c'est plus compliqué, parfois ça part en vrille et je suis obligé de me jeter dans le verre du miroir passe partout. Passe rien, passe surtout. Vie imaginaire sereine, vie qui n'existe que quand on veut réellement la voir. Je m'y sens bien, je m'y sens apaisé. Extérieurement, je ne suis qu'un corps affalé sur un canapé à moitié décoloré, grisâtre et sans rien de bien beau. Mais, intérieurement, c'est une explosion dans les pauvres parois de mon crâne. Je dors, je rêve, je disparais de la surface de la terre. Pour combien de temps ? Je n'en sais trop rien. Quelques secondes, quelques minutes, ou quelques heures, je ne pourrais le dire. Sauf que quelque chose tombe, je me sens comme aspiré par ce miroir qui est le fin fil reliant réalité et illusion. Il veut me gober, m'avaler, moi je m'accroche à un quelconque objet, tout et n'importe quoi. J'entends des bruits au loin, comme un chat qui gueule, un chat qui hurle. Je grogne, pousse un couinement digne d'un gamin qui ne veut pas se réveiller, qui préfère rester dans son rêve remplis de bonbons et de gâteaux en tout genre. Non, je n'en ai pas envie. Je m'éloigne du miroir à nouveau, m'éloigne du monde extérieur. Sauf que là, SBIM. Le miroir se brise, me jette violemment de mon rêve. Un poids, quelque chose, et surtout, une foutue voix. « WILLIAM STEADWORTHY ! » Hein ? Quoi ? Oui ? C'est moi ? Je déglutis, les yeux encore clos. Je me met à grogner, oui. Rowena Steadorthy troisième du nom, ah tu parles d'un bonjour tout en splendeur. Mon coeur explose contre mon torse, je ne dirais pas que j'ai eu peur, mais pas loin. Allez savoir, ça aurait pu être un quelconque psychopathe avide de sang et de cheveux bouclés ? J'ouvre mes yeux, c'est tout flouté, c'est tout, rien du tout. Malgré tout, je les écarquille d'un coup et claque mes mains contre mes pauvres yeux meurtris jusqu'à la moelle et pousse un cri. « AH MON DIEU. NON. PAS DE LUMIÈRE. » Espèce de dingue qui passe sa vie dans le noir, à ruminer tout et rien, et parler avec son chat. Ouais, c'est un plan qui me va à moi. Mais pas à ma chère soeur visiblement. Je gigote, tente de l'envoyer sur le sol. Malheureusement, je suis bien trop dans les vapes pour tenter un quelconque mouvement fort.
Bizarrement, j'aurais dû m'en douter, j'aurais dû le savoir qu'elle allait venir comme une amazone sur son fier destrier. Ouais. En même temps, passer plusieurs semaines sans donner de nouvelles, c'est inquiétant, je l'avoue. Je suis un grand frère indigne, pire que ça même. Je pense que j'aurais eu la même réaction, enfin en plus fin. Quoi que, peut-être pas. Surement en pire haha. Je déglutis, pousse un petit couinement, comme un pauvre animal frappé à longueur de journée, un pauvre animal qui souffre et qui ne demande qu'une chose : être aimé. « Dans l'genre réveil en douceur, on peut pas dire que tu sois dans mon top cinq hein. » Petit à petit, j'enlève mes mains et ouvre tout doucement les yeux. Bon dieu, faudra sérieusement que je pense à repeindre les murs, ce serait carrément cool et beaucoup moins violent pour tout le monde. J'hausse les sourcils, la fixe, silencieux durant un petit temps. « Et en plus, t'as failli tuer mon pauvre chat. » Mine boudeuse collée au visage, je cherche du regard Shakespeare. Ouais, j'en conclus que son miaulement était à cause de demoiselle Rowena. En même temps, faut dire que se prélasser sur le sol comme un mollusque, c'est la meilleure façon de se faire écraser par un pied humain. L'est pas très futé ce matou. Je plisse mon nez, la fixe perplexe. Elle est toujours là, assise. A tout les coups, elle va passer toute l'après-midi comme ça. Faut croire que je suis un bon canapé humain, ou quelque chose du genre. Même coussin tiens. Malgré tout, un sourire s'arrache de mon visage. C'est toujours un bonheur de la voir, même si les circonstances sont toujours étranges, comme maintenant et tout de suite. Se faire réveiller par une demoiselle en furie, ça peut faire très mal. Arrêt cardiaque, ouais, c'est ça. « Ma chère poids plume, petite soeur adorée. Pourquoi tant de haine avec moi ? » Je me met à ricaner tout en me redressant un peu, ma main passe sur ses cheveux et je lui ébouriffe cette tignasse brune tout sourire, l'air de rien. Oh, moi de mauvaise humeur avec elle ? Vous voulez rire. Rowena c'est mon sourire le plus grand en fin de journée, mon rire le plus fort. Un peu mon tout.